L'Intendante
L’Intendante
Me voici dans la maison de la poésie, espace « création ». Tout d’un coup, je me lève, sors de la salle et emprunte le couloir qui mène à l’intendance poétique. J’entre dans la pièce avec appréhension. Elle est là, me regarde comme si elle était exaspérée, mais je la sens plutôt ironique. D’ailleurs, son sourcil gauche fait un magnifique accent circonflexe de 90°. Je fais la timide:
- Excusez-moi…
- C’est pour quoi?
J’ai connu des tons plus polis, mais bon (courage!), je ne me démonte pas:
- J’ai besoin de matériel pour écrire…
- Et alors? Va à la papeterie, t’y trouveras ton bonheur!
- Bah non, j’en ai des fournitures de ce genre: crayon, papier… mais j’arrive pas à écrire…
- Quand on n’a pas de talent c’est normal.
- Mééééheuuuuuu… c’est surtout des idées que j’ai pas. Enfin, j’en ai plus. C’est pour ça que je viens vous demander des idées…
- Tu peux pas te les trouver toute seule tes idées?
- Mais c’est vous qui avez pour charge de m’inspirer des idées…
- J’ai pas que ça à faire! Je suis en rupture de stock figure-toi!
- Mais c’est pas possible! Votre contrat stipule que vous en avez un nombre infini!
- Ouais, mais le contrat n’indique nulle part que je suis censée t’en fournir à tout bout de champ! Une demande tous les mois, passe encore, mais toutes les semaines… ça commence à bien faire! Quelle idée aussi de faire un blog, tu t’es imposée un rythme de publication (que tu respecte à peine soit dit en passant) et maintenant tu as des obligations ... Mais faut pas râler, tu as voulu, tu assumes!
- S’il vous plaîîîîîîîîîîîîîîîîîîîît…
- Supplie-moi d’abord.
- Ô miracle des miracles…
- À genoux.
Je me mets à genoux. Ce qu’il faut pas faire tout de même.
- Je lis dans tes pensées je te rappelle. Allez, les louanges…
- Ô splendeur des splendeurs, lumière des lumières, dont la clarté éclaire le poète plus que n’importe étoile éclaire les planètes…
- Eh bé… ça se voit que tu es en manque d’idées… c’est d’un original…
- À qui la faute?
- Bon, je vais t’aider. As-tu bien regardé le monde autour de toi?
- Oui.
- As-tu trouvé des germes d’idées?
- Oui, mais la récolte c’est pas pour tout de suite. C’est pour ça que je suis venue vous voir, j’ai besoin d’une idée toute faite, une prête-à-écrire, quoi…
- Franchement, t’es difficile comme apprentie poète, toi… Bon, si tu es en manque d’idées, écris quelque chose sur l’Inspiration!
- Quoi?! Mais j’ai déjà écrit un texte sur vous, sans compter cinq ou six poèmes!
- Écris-le d’une manière différente, dans un style différent. Tu es poète, oui ou non? Tiens, pour occuper tes lecteurs, tu n’as qu’à raconter notre entrevue, ils comprendront ce qui t’arrive…
- Mais-mais-mais… c’est nul, comme truc! C’est un manque total de respect envers des gens qui prennent la peine de me lire! Je dois mettre la barre plus haut! Et puis c’est usé jusqu’à la corde le coup de raconter une vraie-fausse anecdote, surtout dans le genre que vous me proposez!
- C’est un très bon sujet! Après, c’est à toi d’en faire un machin potable! Moi, je donne les idées, toi tu fais le reste… Et puis ça les fera patienter, le temps que tu fasses un VRAI poème.
- Mais…
- Allez, la visite est finie, j’ai un rendez-vous avec un autre poète, qui n’est pas tout le temps accroché à mes basques, lui.
Et elle me laisse plantée là, comme une idiote. Alors, je fais comme elle m’a dit, j’écris un petit texte en attendant la saison de la floraison des idées (qui selon mes calculs ne devrait pas trop tarder, mais on ne sait jamais, les tempêtes de gel désinspirateur ça existe, bref…………..).
Donc voilà, vous savez tout à présent.