Lettre à Boris Vian
Lettre à Boris Vian
Cher monsieur Bison Ravi,
Je dois vous dire que j’ai dû beaucoup parlementer avec ma plume pour qu’elle se fasse prendre par ma main, c’est une vraie sainte-nitouche celle-là. Et puis j’ai dû administrer une encre calmante à mon papier qui est très sensible du dos, et qui donc n’aime pas trop se faire gratter. Qu’importe. J’ai réglé ces soucis avec un simple décimètre.
Je sais bien que vous êtes mort et enterré, mais j’ai confiance en la Poste. Elle a beau faire la folle sur la grève, elle atteint toujours le bon port. Et puis je pense que vous trouverez bien le temps de me lire, maintenant que vous avez l’éternité devant vous.
Qui suis-je pour déranger le ravi bison que vous êtes? Une simple pataphysicienne, en manque terrible de mots. Vous savez, c’est dur d’être accro à la feuille de poème comme ça. Les gens vous admirent, parce que vous voyagez, mais parfois il vous arrive des bad tripes, surtout si les vôtres sont fragiles et supportent mal les renversements de proses. Mais vous continuez à écrire, parce que sinon vous êtes en manque.
Je suis donc une pataphysicienne en herbe, qui écrit en vers et en papillons, et qui vous fait part de son admiration pour vous. Je l’ai d’ailleurs postée en colis recommandé, comme ça je suis certaine que vous l’aurez. Mais je tenais à vous dire que je vous considère comme un être exceptionnel. Parce que déjà, un bison ravi, ça ne court pas les rues comme ça (et puis un bison ça ne court pas, ça charge), mais un bison ravi qui joue avec la trompette et les mots, c’est une vraie exception (qui n’a même pas de règle à confirmer)! Si encore vous jouiez de la trompette et des mots de la même manière que tout bison qui se respecte (c’est-à-dire que vous n’en joueriez pas), cela semblerait normal aux yeux de tous. Mais vous avez des talents considérables, et c’est cela qui fait que je vous admire: en effet, il faut vraiment être rêveur pour ne pas savoir que le talent n’a plus cours dans le monde depuis plus de 2000 ans bien tapés, et j’admire les rêveurs (ce sont les seuls qui ont le contresens des réalités).
Je voulais ensuite vous remercier pour votre excellente herbe rouge… j’ai fait un beau voyage grâce à elle. C’est une bonne chose, car de nos jours, les feuilles ont tendance à manquer de tripes, et par conséquent à faire planter les nôtres (de trips).
Que puis-je dire d’autre encore? L’écume est toujours quotidienne et éphémère… la votre d’ailleurs, monsieur Bison Ravi, se lit en un jour… mais battue en neige, elle se fige en une sculpture (qui n’en reste pas moins chaude, et-mouvante), qui perdure encore des années.
Je ne vais pas vous embêter plus longtemps, ce serait vache de ma part de vous faire tourner en bourrique, vous, un ravi bison, avec mes caquètements de cacatoès. Et comme je le disais à un méchant importun qui n’avait pas choisi la bonne opportunité pour m’importuner indécemment: « Tant parle ta perruche, salaud, qu’à la fin elle me les casse. » Mais je crois qu’il n’a pas compris. Étrangement, les cruchons ne pigent rien aux histoires de cruches.
Peut-être que tout ceci vous semblera un tissu d’inepties, auquel cas je vous rappelle donc que j’écris sur du papier, et qu’un peu d’ineptie ne fera pas de mal à un pauvre bison qui écoute des regrets éternels à longueur de journée. Je voulais, pour vous faire plaisir, envoyer mon crachat sur votre tombe, mais cet être baveux a décidé de sécher. Il faudra vous contenter de la salive qui restera sur le pli de la lettre.
Si jamais vous souhaitez me contacter, je vous donne mon adresse: « aux confins de mon âme. Dans ma tête ». Vous pouvez vous-même me rendre visite, cela ne me dérange pas. Chez moi c’est un peu noir, un peu le bordel, mais comme dans tout bordel il y a des trucs plutôt moches et des trucs plutôt mignons.
Je vous salue à l’arrache (cœur), daignez me pardonner.